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Catégorie parente: Histoire
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Mis à jour le vendredi 6 décembre 2013 10:04
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Écrit par Josselin Millecamps
La mousson du sud-est fait bruire les feuilles des flamboyants de Thaïlande: C'est le moment pour les hommes âgés, peut-être même pour leurs petits-fils, de lever les yeux vers le ciel. L'excitation de la saison des cerfs-volants arrive. Pour ce pays heureux, chaque saison des cerfs-volants reste une occasion de réjouissance particulière. Pour votre rédacteur préféré, Dieppe 1996 aura aussi été l'occasion de rencontrer un équipe thailandaise; et de vous faire partager la passion traditionnelle de ces cerfvolistes.
En Thaïlande, la pratique du cerf-volant ne consiste pas simplement à observer jusqu'où un cerf-voiant peut s'élever dans le ciel. C'est un sport ancien et honorable, doté de règles précises où se sont illustrés aussi bien les rois que les gens du peuple. Avant qu'ils soient I'objet de compétitions telles que nous les connaissons aujourd'hui, les Thaïs faisaient voler des cerfs-volants cargo au-dessus de leurs cités. A la fin du XVIIe siècle, le Roi Petraja utilisa des cerfs-volants pour ce qui fut probablement le premier bombardement de I'histoire. Pour lutter contre les rebelles de Nakhon Ratchasima (Korat), ce roi ingénieux fixa des explosifs sur des cerfs-volants, les fit amener au-dessus de ses ennemis et les fit exploser, provoquant leur capitulation. En tant que sport, la pratique du cerf-volant a remporté une grande popularité dès le règne du roi Rama Kamhaeng (époque Sukhothaï), il y a quelque 700 ans. Les rois de Sukhothaï I'appréciaient tellement que la littérature de cette période lui a réservé une place importante. La vogue du cerf-volant prit de telles proportions que, dans la nouvelle capitale d'Ayutthaya, un décret fut pris, stipulant que les cerfs-volants devaient être interdits dans le voisinage du Palais Royal.
Il est également établi que le roi Rama II (1809-1824) fut un grand amateur de ce sport tel qu'il est pratiqué sous sa forme actuelle à quelques variantes près. Le roi avait coutume d'engager son cerf-volant mâle "chula" contre le cerf-volant femelle "pakpao" manié par un de ses courtisans sur I'esplanade Phramane, en face du Palais Royal, là où les combats de cerfs-volants se déroulent actuellement. Des compétitions de cerfs-volants furent organisées sous le règne de Chulalongkorn (1868-1910) et en 1906, la première " Coupe Royale " se déroula au Palais Dusit. Le roi présida la compétition, accompagné des membres de la famille royale, et un orchestre de la cour pourvoyait à l'ambiance musicale pour stimuler les adversaires. Le Roi Chulalongkorn appréciait tellement les compétitions qu'elles devinrent un sport national, célébré chaque année jusqu'à sa mort en 1910. En 1921, sous le règne du RoiVajiravudh (1910-1925), ce jeu redevint un sport national pratiqué par tous. Princes et gens du peuple constituaient leurs équipes et concouraient pour des enjeux importants.
Le roi en personne présidait l'ouverture des combats dans le ciel et envoyait même son chula personnel, à l'emblème des Trois Flèches, pour participer aux compétitions. Le sexe a son importance dans les compétitions, puisqu'il existe des cerfs-volants mâles "chula" et des cerfs-volants femelles "pakpao".
Le chula est un grand cerf-volant, d'une longueur minimum de 2 m 25, constitué d'un assemblage de bambous préparés depuis des mois. Sa silhouette est celle d'une étoile à 5 branches et il est doté de 3 jeux de crochets de bambou, attachés à sa corde pour attraper la femelle. Il faut 10 hommes (ou 10 jeunes gens) pour manoeuvrer un chula. Le pakpao, à I'image de la femelle qu'il représente, apparaît fragile, taillé en forme de diamant, et ne mesure que 75 cm au maximum, Sa défense réside dans sa facilité de manoeuvre et dans une boucle de cordage fixée sous sa ligne de vol. Il porte aussi une longue queue qui lui permet de se saisir de son adversaire et de I'enrouler. Manié par un expert, le charmant petit pakpao constitue un adversaire redoutable pour le chula.
Dans les combats traditionnels, comme ceux auxquels on peut assister à I'occasion des tournois annuels, le terrain est divisé en son centre par un cordage. Le territoire de chula est placé au vent. De là, le grand cerf-volant mâle est lancé à travers la frontière, dans la zone sous le vent où les pakpao flottent gracieusement dans le ciel bleu estival, ressemblant à des papillons. Le jeu consiste, pour le chula, à attraper la femelle (parfois plusieurs) avec ses crochets de bambou et à la ramener dans son territoire. Pour le pakpao, il s'agit de s'emparer du mâle, avec sa boucle de cordage de 12 m de long ou avec sa queue, pour I'emmener sur son propre territoire. Cette compétition "mâle contre femelle" répond à deux objectifs: Les mâles cherchent à s'emparer du plus grand nombre possible de femelles; et les femelles cherchent à faire tomber le plus grand nombre possible de rnâles. Un mâle qui s'aventure dans le territoire des FakDao peut être la proie de n'importe quelle femelle et vice-versa. Parfois, le mâle joue le rôle de I'agresseur en choisissant délibérément celle qu'il pense ramener dans son territoire, comme un homme peut choisir sa partenaire de danse parmi des inconnues, avec I'éventualité d'un échec. Parfois aussi, un pakpao se trouve en position d'attraper un mâle pour finalement s'emparer d'un autre. Personne ne meurt dans ces combats, ni le chula, ni le pakpao, mais I'ambiance est à son comble du côté des chula quand un de ses membres se trouve en difficulteé de ce fait, pour le spectateur, la meilleure position d'observation se trouve aussi près que possible de l'équipe des chula.
Les membres de l'équipe opèrent sous la direction d'un capitaine qui se sert d'un sifflet pour donner ses ordres. Ce capitaine doit savoir négocier les moments critiques, notamment quand l'équipe tient la corde lâche, attendant le moment où les crochets de bambou vont assurer leur prise. Quand I'accrochage se produit, une poulie de laiton, spécialement conçue, est actionnée et, au rythme du sifflet, le chula est ramené sur son territoire avec sa proie. Quand un Pakpao réussit à lancer sa boucle autour du chula ou, comme cela arrive fréquemrnent, quand le petit cerf-volant parvient à s'échapper et à déséquilibrer le chula, le capitaine du chula sonne immédiatement I'alarme. Le rythme de son sifflet s'accélère pour inciter son équipe à tirer plus fort, à maintenir le cerf-volant en I'air et à ramener la corde, dans un effort désespéré et héroïque, pour assurer le retour de son champion, sain et sauf, sur son territoire...